Table des matières
- Le rire et l’autisme
- Le rire et sa réalisation motrice
- L’autisme et la coordination motrice
- Rire et Parole, des bases motrice communes
- Vers un entraînement du rire ?
- Références
C’est à l’occasion d’une semaine de vie ensemble avec neuf familles avec un enfant TSA que j’ai observé le peu ou l’absence d’échanges de rires avec les enfants TSA.
De retour de ce séjour, j’ai demandé aux parents s’ils confirmaient la rareté de cet échange. Une maman évoque cela au moment de chatouilles quand son enfant était plus jeune. Mais les parents observent de fait que cette situation est rare et que ma question les surprend, car « ils n’y avaient jamais pensé ». Plusieurs semaines plus tard, ils me confirment l’absence ou la rareté de cette pratique partagée.
Pour aller plus loin, il fallait d’une part interroger la littérature scientifique à ce propos et également, mieux cerner l’objet « rire ».
Les lignes qui suivent constituent une première ébauche pour aborder cette problématique dans le contexte de nos travaux Pratlang.
Nous évoquerons donc comment des auteurs étudient le rire chez les personnes TSA, comment d’autres auteurs abordent le rire en général et comment cela interroge nos ateliers Pratlang. Encore une fois, il s’agit là de poser des éléments afin de commencer une démarche réflexive sur le sujet. Nous n’aborderons pas ici les relations entre le rire et l’expression des émotions. Nous interrogerons simplement la pertinence d’une éducation inclusive du rire dans des activités d’atelier d’éducation de la parole.
[1] Cette incapacité à apprécier le rire dans sa dimension partagée et agréable fait l’objet de nombreux travaux et a reçu le nom de « gélotophobie ».
1. Le rire et l’autisme
Depuis les années 70, les évaluations en pragmatique ont montré que les personnes TSA présentent des résultats spécifiques dans tous les aspects du développement pragmatique (Tager-Flusberg, 1981). Ceci demeure pertinent aujourd’hui. Comme le rappellent Poinso & Viellard (2024 : 49), les troubles pragmatiques reposent sur un déficit du processus inférentiel. Plus spécifiquement, le processus inférentiel convoque à la fois la possibilité d’émettre des hypothèses en écoutant les propos langagiers d’un interlocuteur, en les situant dans un contexte social et culturel et d’en déduire un non-dit, un sous-entendu, bref, un implicite. Cette activité langagière est source de difficultés chez les personnes TSA. On peut alors s’attendre au fait que le rire sera une pratique difficile pour ces personnes car le rire peut être au cœur du processus inférentiel. Les études sur le rire chez les personnes TSA sont de fait associées à des situations de communication comme l’humour, la farce ou la blague. Tel est le cas par exemple des études réalisées par des auteurs comme St James & Tager-Flusberg (1994) ou plus récemment Hudenko et al. (2009). Ainsi, ces derniers émettent l’hypothèse que les enfants autistes exprimeraient le rire principalement en réponse à des états internes positifs, plutôt que pour négocier les interactions sociales. Reddy et al. (2002) s’intéressent à la production du rire avec des publics différents et montrent que des enfants autistes auraient tendance à moins partager le rire lors de situations interactives. De même, Treichel et al. (2023) étudient l’attitude d’un groupe de personnes TSA comparé à un groupe témoin. Treichel et al. repèrent dans cette étude que les personnes TSA apprécieraient moins l’humour et le rire que le groupe témoin.
Le groupe de personnes TSA interpréterait massivement le rire comme la marque d’une moquerie à leur égard, générant une peur, une angoisse [1]. En termes de sensibilité à la contagion des rires et des bâillements, Helt et al. (2021) ont testé 55 enfants TSA de 8 à 14 ans et 106 enfants non TSA de 5 à 14 ans. Ces auteurs montrent que les enfants TSA seraient moins susceptibles de bâiller ou de rire de façon contagieuse que les enfants non TSA.
Ces approches attestent donc l’intérêt de l’étude du rire auprès d’un public TSA. Elles sont inscrites dans une orientation pragmatique des échanges langagiers et relèvent des dimensions sociales, intentionnelles et cognitives. Les auteurs observent des difficultés dans la pratique du rire chez des personnes TSA (enfants ou adultes). Ces dimensions présupposent la réalisation physique du rire et par conséquent, un certain niveau de développement physiologique, neurologique et langagier. Nous intéressant ici à la réalisation physique du rire spontané, immédiat, nous faisons l’hypothèse que tout comme la parole, résultante d’une coordination de gestes moteurs, la réalisation du rire participe à la gestion du corps dans ses dimensions sociales et culturelles. Kreiman & Sidtis (2011 : 86) posent le rire à la fois comme un aspect vital de notre existence comme l’amour, la musique, le sommeil et en même temps, un élément difficile à expliquer.
2. Le rire et sa réalisation motrice
Nous nous intéressons plus spécifiquement à la réalisation motrice du rire, résultant d’une coordination complexe de gestes pratiqués de façon non consciente. Le développement du nourrisson et de l’enfant nous donne des repères temporels. Boysson-Bardies (1999 : 52-53) a observé que les premiers rires et les manifestations de joie émis avec la bouche grande ouverte peuvent être réalisés à partir de la seizième semaine de la vie du nourrisson. Ce n’est qu’à partir de la fin du sixième mois que le nourrisson est capable de coordonner les vocalisations et les variations de son (hauteur et intonation). Et entre huit et dix mois, le babillage du nourrisson ciblé sur la langue maternelle peut être reconnu par les adultes. Le rire humain apparaît donc tôt dans le développement de l’enfant. La stimulation au rire dépendra de la fréquence des interactions ludiques, dans un climat de sécurité. Les jeux comme les chatouilles, les comptines sont des situations propices à la surprise et à la production du rire. Tout comme pour l’appropriation de la parole, la coordination des gestes se réalise grâce aux interactions langagières. Se rajoute avec l’appropriation du rire, des interactions reposant sur des amusements partagés.
La production du rire est donc réalisée avant la production du babillage : c’est comme si les gestes moteurs permettant le développement du rire étaient peut-être une première coordination musculaire, un premier entraînement avec le « matériel » disponible à 16 semaines. Nous nous situons là dans la perspective de Nadel (2016 : 55-56), s’appuyant sur les travaux de Wallon (1941-1968 : 33) pour qui « chaque âge de l’enfant est comme un chantier dont certains organes assurent l’activité présente, tandis que des masses importantes s’édifient qui n’auront leur raison d’être qu’aux âges ultérieurs ». Déjà Darwin (1877 : 247) observait que «nous trouvons dans ce développement graduel du rire chez l’enfant quelque chose de comparable, jusqu’à un certain point, à ce qui se passe pour les pleurs. Il semble que, dans l’un et l’autre cas, un certain exercice soit nécessaire, aussi bien pour l’acquisition des mouvements ordinaires du corps, tels que ceux de la marche. Au contraire l’habitude de crier, dont l’utilité pour l’enfant est évidente, se développe parfaitement dès les premiers jours ».
Chez l’adulte, les mouvements du corps dans son ensemble sont très visibles et nous pouvons tous observer des mouvements de la tête, des mains, etc. L’observation de la réalisation motrice du rire sur le visage a été observée déjà par Darwin (1877 : 218).
Il attirait l’attention sur la coordination motrice des muscles du visage pour réaliser le rire : « Par suite de l’élévation des joues et de la lèvre supérieure dans le rire et le sourire bien accentué, le nez semble se raccourcir; la peau de sa partie moyenne se couvre de fines rides transversales et les parties latérales de plis longitudinaux ou obliques. Les incisives supérieures se découvrent habituellement. Il se forme un sillon naso-labial bien marqué partant de l’aile du nez, aboutit aux coins de la bouche […]».
La fabrication du souffle est également nécessaire pour réaliser le rire. Elle nécessite la mobilisation de la cage thoracique grâce aux mouvements des muscles intercostaux. Le diaphragme est repoussé vers le haut par une contraction forte des muscles abdominaux et intercostaux, tout comme lors de la réalisation d’une voyelle tenue. En 1977, Fry & Hader rendent compte des modifications de l’activité respiratoire réflexe afin de réaliser le rire.
Enfin, la vocalisation est aussi produite à l’aide de l’ouverture de l’ensemble des cavités de résonance. Plusieurs voyelles peuvent être réalisées. La vocalisation est toujours présente lors de la production d’un rire aux éclats.
La fabrication du rire nécessite donc la coordination musculaire de la production du souffle, du son et de la vocalisation. Il s’agit d’une coordination motrice complexe de gestes. De quoi s’agit-il ? Albaret & Chaix (2015) définissent cette coordination comme « l’organisation des différents degrés de liberté impliqués dans la réalisation d’une action ». Malherbe & Lefévère-Renard (2020) précisent que la coordination motrice de ces gestes est dans l’objectif de la réalisation d’une action globale (ici, la réalisation du rire). Cet objectif visé présuppose que les différents modules de gestes soient coordonnés en vue d’une action globale (rire) et moins comme une succession d’actions motrices à réaliser (souffle, son & vocalisation). Ceci permet de comprendre pourquoi nous n’avons pas une conscience explicite de cette coordination. Tout comme pour la marche, nous n’avons pas une conscience explicite des différents éléments moteurs coordonnés. La réalisation de la marche est conçue comme un tout. Cependant, c’est la fluidité et la précision de cette coordination qui génèrent l’efficacité de l’action. Pour cela, l’apprentissage et la répétition de cet apprentissage sont requis assurant ainsi la possibilité de réaliser ces gestes de façon automatisée. Cela semble une évidence si l’on pense aux gestes réalisés pour marcher ou encore pour conduire une voiture. C’est exactement la même chose pour la réalisation du rire.
[2] Il s’agit d’une insuffisance handicapante du tonus musculaire.
[3] La praxie désigne l’ensemble des capacités de coordination et d’adaptation des gestes pour accomplir une tâche donnée.
3. L’autisme et la coordination motrice
La production de coordination motrice pour la réalisation du rire et de la parole se réalise lors de situations en interaction avec d’autres personnes, notamment des adultes, des « vieux en langue ». Ce sont des activités sociales, transmises par imitation : l’imitation motrice est au cœur de la transmission de ces deux activités. Et comme l’ont montré Nadel & Pezé (1993), il y a des corrélations entre des difficultés dans la mise en place des gestes d’imitation et des difficultés de communication.
Nadel (2016 : 13) rappelle « qu’un délai d’acquisition motrice est un handicap pour la formation d’un répertoire de gestes et d’actions et pour la constitution de couplages perception-action ». Nadel (2016 : 126-127) précise aussi : « l’imitation d’actions familières précède au cours du développement l’imitation d’actions nouvelles ; les jeunes enfants imitent des actions qu’ils ont dans leur répertoire ; ils exercent ainsi leur imagerie motrice ». Des enfants autistes en difficulté d’imitation risquent donc de cumuler les difficultés sous la forme d’un engrenage contre-productif : ils n’imitent pas, prennent alors du retard dans l’appropriation d’un ensemble complexe de coordination motrice, et ne peuvent donc pas ou peu engranger un répertoire d’imageries motrices, à la base d’imitation d’actions nouvelles. Concernant la production motrice du rire et de la parole, c’est toute la socialisation langagière de l’enfant qui est mise en difficulté.
Comme le rappellent Rogers & Benetto (2002), c’est Damasio & Maurer (1978) qui ont été les premiers à observer des anomalies motrices chez des enfants TSA. Ils ont fait état de perturbations de la mobilité, du tonus musculaire, d’une démarche et des postures anormales. Ils ont également mentionné une asymétrie faciale « qui ressemble à une paralysie faciale des expressions émotionnelles ». Cette dernière remarque renvoie aux travaux de Grossard sur l’expression faciale des émotions (EFE). Grossard (2019 : 45) mentionne en effet que chez les enfants non TSA, les productions des EFE évoluent de la petite enfance à celles observées chez l’adulte.
Chez les enfants TSA, les productions des EFE sont décrites comme atypiques et elles ne s’amélioreraient pas entre 6 et 12 ans. Elle note également en citant Trévisan, Hoskyn & Birmingham (2018), que les enfants TSA seraient en difficulté pour transmettre leurs émotions en utilisant des expressions faciales (joie, colère et tristesse).
En sachant que la réalisation du rire est une activité générant l’expression faciale des émotions (EFE), cette différence développementale entre les deux groupes d’enfants est peut-être une des conséquences du sous-emploi du rire dans le développement de l’enfant TSA. Rogers & Benetto (2002 : 69) font remarquer qu’un pourcentage significatif d’enfants autistes n’acquiert pas le langage, mais qu’on n’a pas d’explication de ce phénomène. Ces auteurs indiquent que des études récentes apporteraient « un élément supplémentaire en faveur de l’hypothèse selon laquelle un dysfonctionnement moteur sous-tend l’absence de langage parlé, au moins chez certains enfants autistes ». Rogers & Benetto (2002 : 65) citent l’étude réalisée par Rapin (1996). Rapin a comparé des enfants autistes à des enfants de groupes cliniques différents présentant de faibles capacités de communication. Il observe que l’hypotonie [2] et des difficultés praxiques [3] seraient spécifiques aux enfants autistes.
Enfin, Pireyre (2019) montre comment les pratiques en thérapie psychomotrice sont un enjeu dans l’accompagnement de l’enfant autiste : les approches plurielles présentées attestent de la pertinence de la psychomotricité dans la prise en charge d’un enfant autiste. Cependant, les activités de production de rire et de parole ne sont pas abordées. Cela pourrait l’être si ces deux activités sont appréhendées comme relevant de coordinations motrices.
[4] Nous ne parlons pas de rééducation mais d’éducation car nous faisons l’hypothèse qu’il nous faut penser l’éducation avant la rééducation, notamment pour les enfants TSA non verbaux.
4. Rire et Parole, des bases motrices communes
Si nous comparons les coordinations motrices entre la production du rire et la production de la parole, nous pouvons voir les éléments communs et les éléments spécifiques.
Les modules | Production du rire | Production de la parole | Éléments convoqués |
Module 1 | SOUFFLE | SOUFFLE | Gestion des muscles liés à la coordination de l’inspiration et de l’expiration |
Module 2 | SON | SON | Gestion des muscles au niveau du larynx |
Module 3 | VOCALISATION et COUP DE GLOTTE avant la voyelle | PRONONCIATION (voyelles et consonnes) | Gestion des cavités de résonance à la sortie de la glotte, des mouvements de la mâchoire et de la langue |
Module 4 | MIMO-GESTUALITÉ DU VISAGE (SOURCIL, LÈVRES, BOUCHE) | MIMO-GESTUALITÉ DU VISAGE (SOURCIL, LÈVRES, BOUCHE) | Gestion des muscles peauciers |
Module 5 | GESTUALITÉ DU CORPS | GESTUALITÉ DU CORPS | Gestion des mouvements du corps |
Tableau 1 : Synthèse comparant la production du rire et la production de la parole
Nous appelons module, un élément de production comme le son qui nécessite une coordination musculaire spécifique tout en s’appuyant sur les autres modules. Le tableau présente les modules de coordination musculaire pour la réalisation globale du rire et de la parole. Nous rappelons les propos déjà évoqués de Malherbe & Lefévère-Renard (2020) : la réalisation d’une activité motrice complexe comme la réalisation du rire ou de la parole présuppose que les différents modules de gestes soient bien coordonnés pour être réalisés comme un tout.
Comme le montre le tableau 1, les réalisations du rire et de la parole convoquent les mêmes modules. La différence porte uniquement sur la production de sons articulés : le nourrisson ne peut pas encore réaliser de consonnes à 3 mois pour des raisons développementales, mais il peut produire des voyelles. La différence marque donc une différence développementale d’un même processus. Cependant la réalisation du coup de glotte peut être considérée comme une première étape dans l’appropriation des consonnes.
Nous avons vu que la coordination du souffle, du son et de la prononciation est nécessaire pour la réalisation du rire et de la parole. L’absence de cette coordination motrice ou un retard dans cette coordination pourrait entraver les apprentissages ultérieurs. Transmettre de façon explicite les coordinations motrices constitue donc une étape fondamentale de l’acquisition de la coordination. Cette information est précieuse pour l’éducation des enfants TSA car les troubles du spectre autistique (TSA) et les troubles de l’acquisition de la coordination (TCC) sont des troubles du développement qui sont présentés comme des affections concomitantes, depuis le DSM-5. La question porte alors sur le contenu d’une pratique d’éducation inclusive du rire et de la parole[4] et nous conduit à notre dernier point.
5. Vers un entraînement du rire ?
Pour savoir si un entraînement du rire était pertinent dans le contexte des ateliers Pratlang, nous avions trois questions :
1) Le rire est-il absent ou spécifique chez les enfants avec un TSA ?
2) Comment se réalise la coordination motrice du rire ?
3) Cette coordination motrice est-elle source de difficultés chez les enfants avec un TSA ?
Le premier point a donné à voir l’investissement des chercheurs dans ce domaine. Il y a bien des spécificités chez les personnes TSA. Leur production du rire est peu inscrite dans des pratiques sociales partagées. Le rire des autres peut susciter de la crainte et ne génère pas ou peu de rires communicatifs. Les personnes TSA en train de rire exprimeraient surtout un état personnel interne et non une réaction à une situation surprenante extérieure à eux. Ceci est en cohérence avec les problèmes plus généraux liés à leurs difficultés communicationnelles, notamment dans la gestion de l’implicite en situation d’interactions.
Notre deuxième point porte sur la réalisation corporelle du rire. Celle-ci nécessite une coordination motrice complexe.
L’appropriation de cette coordination suit un processus développemental à partir 3e / 4e mois du nourrisson. Cette appropriation est réalisée avant la mise en place du babillage (entre 8 et 10 mois). Elle nécessite la coordination de la fabrication du souffle, du son et de la vocalisation.
Notre troisième point interroge de façon plus large la coordination motrice chez les enfants TSA. Si les pratiques en thérapie psychomotrice commencent à se développer, elles ne sont pas pensées, à notre connaissance, par rapport aux pratiques de communication liées à la parole et au rire. Et en même temps, les travaux attestent d’un décalage significatif dans le développement des EFE (expressions faciales des émotions) et des TCC (troubles de l’acquisition de la coordination) des enfants TSA par rapport à des enfants non TSA. Cela légitime pour nous le fait de proposer leur entraînement par le rire et la parole car les difficultés motrices pourraient être l’expression d’un sous-entraînement. Aborder le rire sous l’angle d’une coordination motrice complexe des gestes moteurs ouvre une porte à une éducation inclusive des « corps communicants » des enfants TSA. Dans cette perspective, la transmission du rire par un aidant familial pourrait être intégrée dans un atelier Pratlang.
[5] Rey, V., & Romain, C. (2024). Corps, gestes et paroles pour entrer dans la langue. Bruxelles: Yapaka.
Les ateliers Pratlang de la parole
Les ateliers Pratlang de la parole [5] sont nés après l’observation de l’absence de pratiques du souffle de façon consciente chez des enfants TSA, notamment des enfants TSA non verbaux. Ces ateliers reposent sur deux principes de base.
Tout d’abord, nous considérons l’activité de la parole comme résultante d’une coordination motrice complexe, transmise par imitation. Les gestes sont donc au cœur de l’activité de l’atelier Pratlang.
Ensuite, nous faisons l’hypothèse que les enfants n’ont peut-être pas eu le temps de s’approprier les différentes coordinations nécessaires pour s’approprier les gestes de parole. Pour ces enfants, il faut aussi peut-être plus de visibilité des gestes langagiers : la transmission implicite de ces gestes oraux ne serait alors pas suffisante. Bref, la coordination motrice des différents modules ne serait pas complète car insuffisamment apprise. Il faut alors entraîner et non rééduquer. Les personnes avec un TSA ne sont pas comme des patients aphasiques. Elles seraient comme des personnes en train d’essayer d’apprendre une langue étrangère avec des personnes qui n’ont aucune conscience des difficultés motrices de transmission de cette langue. La démarche porte sur l’entraînement physique à la base des procédures de communication langagière. Dès lors, l’entraînement repose sur la pratique d’une démarche explicite des coordinations motrices de la part des aidants.
L’atelier comprend les phases suivantes (voir www.pratlang.fr pour aller plus loin):
- Gymnastique corporelle pour ouvrir la cage thoracique, étirer le dos, muscler les bras, assouplir les mouvements de la tête
- Ouverture et fermeture de la bouche (entraînement des mouvements de la mandibule)
- Activités sur la production du souffle en conscience
- Activités sur la réalisation de vocalisation (uniquement les cinq voyelles suivantes : « o,ou,i,é,a », /o,u,i,e,a/). Dans un deuxième temps, activités sur la réalisation de syllabe avec les consonnes différentes uniquement sur le lieu d’articulation (p,t,k ; b,d,g ; f,s,ch ; v,z,j).
- Variation de la voix sur les trois registres (grave, médium, aigüe) avec le mot « bonjour » comme support
- Répéter une comptine
- Répéter un virelangue (ex : ton thé t’a-t-il ôté ta toux ?)
- Chanter une chanson ensemble
- Écouter un chant avec des voyelles tenues (chant lyrique ou chant grégorien)
- Écouter une histoire présentée avec des images à ranger
L’atelier commence en tapant sur un bol tibétain et se termine en tapant de nouveau sur ce bol. Les activités sont réalisées soit de façon différée, en imitant l’adulte qui sert de modèle soit en même temps que l’adulte. Dans ce dernier cas, les exercices ont été mémorisés par l’enfant. Les ateliers Pratlang sont réalisés en séance individuelle de 30 minutes par semaine. Au terme de cinq années d’atelier, il s’avère que la majorité des enfants mobilisent davantage leur corps et sont en interaction communicative avec l’intervenant ; trois enfants ne sont jamais entrés dans l’activité sur les dix enfants participants à ces ateliers.
Pratiquer le rire dans les ateliers Pratlang
Il existe aujourd’hui de nombreuses associations, notamment le yoga du rire, qui préconisent de pratiquer le rire de façon quotidienne. Pour motiver la pertinence de cette pratique, sont évoqués des effets très positifs sur la personne.
À notre connaissance, l’absence de réalisation du rire pour des raisons physiques n’est jamais évoquée. Les exercices proposés présupposent que la personne sache rire bien qu’elle ne le pratique pas dans sa vie quotidienne.
Notre propos exige un pas de côté. De nouveau nous émettons l’hypothèse que ces enfants TSA ne savent peut-être pas coordonner les différents modules (SSP) pour réaliser le rire, puisque le souffle n’est pas réalisé. Ou bien, ils n’osent pas réaliser cela comme nous, nous n’osons pas parler une langue étrangère « car nous allons faire des fautes » ou que « nous craignions d’être ridicule ».
Au terme de cette première exploration, nous allons donc introduire des exercices générant une pratique du rire partagée. Nous testerons à la fois la production volontaire du rire sous forme d’exercices à partir de vocalises et la production du rire liée à des activités comme des comptines ou des jeux.
6. Références
Boysson-Bardies, B. (1999). Comment la parole vient aux enfants. Paris: Odile Jacob, Opus.
Chaix Y. et Albaret J.-M. (2013)., « Trouble de l’Acquisition de la Coordination et déficits visuo-spatiaux», Développements, 2,(15), 32-43.
Fry, W. F., & Rader, C. (1977). The respiratory components of mirthful laughter. Journal of Biological Psychology, 19(2), 39–50.
Grossard, C. (2019). Évaluation et rééducation des expressions faciales émotionnelles chez l’enfant avec TSA : le projet JEMImE. Thèse de doctorat de Sciences Cognitives, Sorbonne Université, Paris.
Helt M. S., de Marchena A. B., Schineller M. E., Kirk A. I., Scheub R. J., & Sorensen TM.(2021).Contagious itching is heightened in children with autism spectrum disorders. Dev.Sci. 2021 Mar;24(2)
Hudenko, W. J., Stone, W., & Bachorowski, J.-A. (2009). Laughter Differs in Children with Autism: An Acoustic Analysis of Laughs Produced by Children With and Without the Disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders, 39(10), 1392-1400. doi: 10.1007/s10803-009-0752-1
Kreiman, J., & Sidtis, D. (2011). Fundations of Voice Studies. Oxford: Wiley-Blackwell.
Mauss, M. (1936). Les techniques du corps. Journal de Psychologie, XXXII N°3-4.
Malherbe, V. L., & Lefévère-Renard, G. (2020). Les troubles moteurs des enfants porteurs de troubles du neurodéveloppement. De la compréhension du trouble à son accompagnement. Contraste, éd. Érès, 1,(51), 161-187.
Nadel, J. (2016 [2011]. Imiter pour grandir. Développement du bébé et de l’enfant avec autisme. Paris : Dunod.
Pireyre, É. W. (2019). Autisme, corps et psychomotricité. Approches plurielles. Paris: Dunod.
Reddy, V., Williams, E. & Vaughan, A. (2002). Sharing humour and laughter in autism and Down’s syndrome. British journal of psychology (London, England : 1953), 93(Pt 2), 219–242. https://doi.org/10.1348/000712602162553
Rogers, S. & Benetto, L. ( 2002). Le fonctionnement moteur dans le cas d’autisme. Enfance, 54, 63-73.
Treichel, N., Dukes, D., Meuleman, B., Herwegen, J. V. & Samson, A. C. (2023). « Not in the mood »: The fear of being laughed at is better predicted by humor temperament traits than diagnosis in neurodevelopmental conditions. Research in Developmental Disabilities, 137.
Wallon, H. (1941). L’évolution psychologique de l’enfant. Paris: Armand Colin.